Joyce Wieland : À cœur battant
By: ArtBank / 02 avril 2025L’artiste multidisciplinaire canadienne, féministe et écologiste Joyce Wieland (1930-1998) fait présentement l’objet d’une rétrospective. Organisée conjointement par Anne Grace, conservatrice de l’art moderne au Musée des beaux-arts de Montréal, et Georgiana Uhlyarik, conservatrice Fredrik S. Eaton de l’art canadien au Musée des beaux-arts de l’Ontario, Joyce Wieland : À cœur battant est la première exposition de grande envergure en près de 40 ans consacrée à cette importante artiste et cinéaste. La Banque d’art du Conseil des arts, qui possède 17 œuvres d’art de Joyce Wieland, appuie cette exposition phare grâce à son programme de prêts.

Réflexions au sujet de Laura Secord
À cœur battant retrace les différentes méthodes de travail de Joyce Wieland et les thèmes qu’elle a explorés tout au long de sa carrière. L’exposition commence par une sélection de ses peintures et dessins formateurs des années 1950 et 1960, y compris une œuvre conservée dans la collection de la Banque d’art, Laura Secord Saves Upper Canada (1961). Cette œuvre rend hommage à l’héroïne de la guerre de 1812. Ses actes de bravoure ont marqué Wieland lorsqu’elle était jeune écolière, lassée par les récits dominés par les hommes qui occupaient l’histoire canadienne.
Se remémorant cette anecdote alors qu’elle était une artiste émergente à la recherche de sa propre forme d’expression, Joyce Wieland a imaginé le parcours sinueux de Laura Secord comme une spirale rouge et verte interreliée vue d’en haut. Le chemin est balisé par des flèches et des chiffres tracés à la craie, et un avion en papier est fixé à la toile, faisant référence à l’école où Joyce Wieland a découvert Laura Secord pour la première fois. D’autres éléments, tels que des couches de peinture exécutées par pulvérisation et au goutte-à-goutte, incisées de texte, recréent de manière abstraite un moment historique et les souvenirs de l’artiste au moyen d’un langage visuel contemporain.
« Laura Secord Saves Upper Canada joue un rôle essentiel dans l’exposition, présentant les échanges captivants de Joyce Wieland avec les avant-gardes américaines contemporaines. Intégrant des éléments du vocabulaire du pop art, elle tisse un récit axé sur les femmes en rendant hommage à Laura Secord, l’héroïne qui a courageusement parcouru une longue distance pour prévenir les forces armées de l’approche de l’armée américaine. »
– Anne Grace
Joyce Wieland a créé Laura Secord Saves Upper Canada juste avant qu’elle ne se lance dans le cinéma expérimental et les assemblages textiles inspirés de l’ouvrage à l’aiguille traditionnel. Cette période a également vu naître son intérêt pour l’exploration de l’identité nationale canadienne. En 1971, le Musée des beaux-arts du Canada a organisé la première grande rétrospective de Joyce Wieland, qui était également la première rétrospective du musée consacrée à une artiste vivante. Dans l’exposition Véritable amour patriotique qui en a résulté, elle a à la fois célébré et satirisé les idéologies et les images qui ont façonné le pays dans les années qui ont suivi le Centenaire de 1967.

Véritable amour patriotique?
À cœur battant contient de nombreuses œuvres de Véritable amour patriotique, y compris The Great Sea (1970–1971), qui appartient à la collection de la Banque d’art. The Great Sea fait partie d’un ensemble qui complexifie la perspective de Joyce Wieland en tant que colonisatrice tout en soulignant son engagement progressiste en faveur de la souveraineté de l’Arctique et de la préservation des ressources naturelles. Le diptyque sous forme de tapis au crochet est composé d’un poème inuit, Aii Aii ou The Great Sea d’Uvavnuk, qui raconte qu’elle s’est transformée en chamane après avoir été heurtée par une météorite. L’œuvre est composée de deux ensembles de lettres accrochées à deux tapis, l’une écrite en inuktitut et l’autre en anglais, placés derrière de fins rideaux en tissu à l’intérieur de boîtes en plexiglas. À l’origine, il s’agissait d’un triptyque, mais il n’a pas été achevé pour l’exposition de 1971, c’est pourquoi une traduction française des vers apparaît à gauche dans l’exposition À cœur battant.
La maquette de la publication gouvernementale que Joyce Wieland a démonté et reconstruit à l’aide de photographies, d’annotations manuscrites, de coupures de presse et de fleurs pressées pour accompagner Véritable amour patriotique est présentée dans une vitrine à proximité. Les pages collées accompagnées d’exemplaires de la chanson « Aii Aii » en inuktitut, en anglais et en français et des photographies de la mer et The Great Sea, qui est visible au loin, font partie de l’installation.

La féminité politisée
Les célèbres œuvres monumentales matelassées, cousues et tricotées de Joyce Wieland sont au cœur de l’exposition. Maple Leaf Forever II (1972), qui fait partie de la collection de la Banque d’art et qui est présentée dans cette section. L’œuvre combine différents aspects des pratiques artistiques de Joyce Wieland, y compris le dessin, la réalisation de films et le matelassage. Une série de lèvres féminines matelassées et gonflées, colorées au crayon et empilées de haut en bas, forment les syllabes de la chanson éponyme, qui a été choisie comme hymne national du Canada dans les années 1960.
Comme dans d’autres œuvres de cette période qui mettent en avant le technique d’« animation des lèvres » de Joyce Wieland, telles que la lithographie et rouge à lèvres Ô Canada (1970) et le film Pierre Vallières (1972), qui font partie d’À cœur battant, l’enchaînement des syllabes se métamorphosant rappelle le récit inhérent à une bande de film. Un motif de feuilles d’érable matelassé en arrière-plan est un clin d’œil au titre, l’un des nombreux exemples de l’humour que Joyce Wieland injecte dans son art.
« Son adoption du matelassage dans Maple Leaf Forever et du crochetage de tapis dans The Great Sea illustre bien comment elle a utilisé des techniques et des matériaux traditionnels qui n’étaient pas reconnus par le monde de l’art dans les années 1970. L’inclusion de ces œuvres dans l’exposition nous a permis de mettre en évidence l’extraordinaire diversité matérielle et conceptuelle de ses œuvres ainsi que sa collaboration avec des artisanes et artisans, y compris sa sœur, Joan Stewart (matelassage), et Evelyn Mombourquette Aucoin (crochetage de tapis). »
– Anne Grace

Dessiner l’interdépendance
L’exposition À cœur battant se termine par des dessins et des peintures moins connus de Joyce Wieland, mais non moins importants, réalisés entre la fin des années 1970 et le début des années 1990. Parmi ceux-ci, on trouve un ensemble de dessins au crayon de couleur issus de sa pratique cinématographique et présentés lors de son exposition de 1981, The Bloom of Matter. Joyce Wieland disait à propos de ces œuvres : « Je travaille actuellement sur de petits dessins représentant différents personnages mythologiques féminins. Ce sont de minuscules croquis aux couleurs pâles réalisés au crayon de couleur... Ils sont remplis de lumière. Ils sont remplis de ciels. »
L’un des 32 dessins de The Bloom of Matter, qui fait également partie d’À cœur battant et de la collection de la Banque d’art, est The One Above Waits for Those Below (1981). Une déesse mythologique vivante, un cerf et un huard trônent au-dessus d’un monde souterrain incolore peuplé d’êtres humains et d’animaux qui tendent les bras vers le ciel, comme s’ils cherchaient à la fois à se nourrir et à grandir à partir de la terre elle-même. Ces dessins évoquent l’interdépendance écologique que Joyce Wieland a défendue tout au long de sa carrière, tout en marquant son retour au dessin et à la peinture figuratifs après près de trois décennies. Depuis son décès en 1998, ses œuvres ont été saluées pour leur vision poignante de la société et de la politique canadiennes dans la seconde moitié du XXe siècle ainsi que pour leur engagement en faveur de l’égalité des sexes, des politiques écologiques et des idéologies nationales. Ce sont des appels à l’action qui trouvent encore écho aujourd’hui.
Joyce Wieland : À cœur battant est présentée au Musée des beaux-arts de Montréal jusqu’au 4 mai 2025, puis l’exposition sera offerte au Musée des beaux-arts de l’Ontario du 21 juin 2025 au 4 janvier 2026. Les entreprises sont invitées à découvrir et à louer des œuvres de la collection de la Banque d’art du Conseil des arts et les musées et les galeries d’art ont accès à la collection au moyen du programme de prêts.

À propos de l'auteure : Julie Nash
Julie Nash est historienne de l’art et commissaire établie à Ottawa. Ses domaines d’étude comprennent les liens entre l’art canadien et international au XXe siècle. Elle a travaillé au Musée des beaux-arts de l’Ontario et au Musée des beaux-arts du Canada.