Le remarquable legs du Programme de commande d’estampes de la Banque d’art
By: ArtBank / 20 octobre 2020Dans les années 1970, le Programme de commande d’estampes de la Banque d’art du Conseil des arts du Canada, même s’il demeure méconnu, a fait son chemin partout au pays. Il a permis de nouer des liens entre des artistes et des professionnels des arts, ce qui a mené à des retombées inattendues et remarquables.
C’est dans le but d’enrichir sa toute nouvelle collection que la Banque d’art a commandé des estampes à 25 artistes. Les œuvres ont été réalisées dans des ateliers de partout au pays, et ont ensuite été offertes en location. Ce programme a permis de mettre en contact des ateliers d’impression et des artistes, car ces derniers se sont rendus dans différentes provinces pour produire différentes œuvres.
Cette idée a aussi permis de créer des réseaux. Les artistes, qui venaient de divers milieux artistiques et culturels et qui se trouvaient à différentes étapes de leur carrière, ont pu donner libre cours à leur créativité dans des ateliers de Kinngait (Cape Dorset), St. John’s, Halifax, Montréal, Toronto, Winnipeg et Banff, entre autres. Les ateliers hébergeaient les artistes, leur fournissaient un local et des ressources, et leur permettaient de rencontrer la communauté artistique locale.
Vera Frenkel et Otis Tamasauskas, en train de signer la série Bix X Window à l’Open Studio
Les lithographies et sérigraphies qui ont été produites ont été partagées entre l’artiste, la Banque d’art et l’atelier d’impression. Peu de traces subsistent du Programme, mais les correspondances entre les artistes, les ateliers et la Banque d’art montrent bien à quel point il a facilité la création de liens personnels et artistiques d’un bout à l’autre du pays.
Pour commémorer le Programme de commande d’estampes, la Banque d’art a collaboré avec la plateforme en ligne Google Arts & Culture et a mis en valeur une sélection de neuf estampes originales produites à l’époque. Grâce au puissant appareil Google Art Camera, le public de partout dans le monde peut maintenant admirer de près les plus petits détails de chaque œuvre, et en apprendre davantage sur des précurseurs de l’art contemporain canadien.
Vera Frenkel
En 1975, Vera Frenkel a commencé à travailler sur une œuvre commandée par la Banque d’art, Big X Window, une série de quatre grandes lithographies imprimées à l’Open Studio de Toronto. Les 70 exemplaires ont été imprimés sur une période de presque deux ans, par Don Holman, Don Phillips, Otis Tamasauskas, Elma Schumacher et Steve MacKenzie.
Vera Frenkel se servait énormément de la forme X à cette époque. Dans un catalogue qui porte sur son œuvre, intitulé The Big Book, et qui comprend deux des quatre parties de Big X Window, elle propose un récit appelé « X is a Window ». Dans cette histoire, elle explique que X peut vouloir dire deux choses à la fois : un X sur une fenêtre renvoie à l’accès et à l’obstacle à la fois. « Vous voyez à travers la vitre/vous êtes séparé de ce que vous voyez. »
Vera Frenkel, Big X Window (1975-76), une œuvre en quatre parties mesurant chacune 106,5 cm (hauteur) par 73,5 cm (largeur), pour un total de 213 cm (hauteur) par 147 cm (largeur).
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Takao Tanabe
Takao Tanabe produit depuis longtemps des paysages, peints ou imprimés. Au fil des ans, ses paysages se sont transformés. Ses compositions abstraites et géométriques « hard-edge » ont cédé le pas à des paysages semi-abstraits.
Depuis les années 1970, l’œuvre de Takao Tanabe semble porter sur les paysages canadiens, et en particulier ceux de la côte ouest et des Prairies. Son premier contact avec les Prairies était peut-être celui d’un adolescent travaillant dans une prison agricole, alors qu’il était interné avec sa famille et des milliers d’autres Canadiens d’origine japonaise durant la Seconde Guerre mondiale.
Au fil du temps, l’artiste a éliminé toute référence à des éléments particuliers dans ses compositions, notamment l’intervention humaine sur le paysage. Il se concentre essentiellement sur les vastes horizons où la lumière baigne terre et ciel. Quand il a participé au programme, Takao Tanabe a été employé à la Banff School of Fine Arts où il a produit trois lithographies différentes : Rocky Mountains/Wenkchemna, Prairie Morning et Prairie Dusk.
Takao Tanabe, Prairie Morning (1979)
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Joyce Wieland
En 1977, Joyce Wieland s’est rendue à Kinngait (Cape Dorset) pour la première fois. C’est là, à la West Baffin Eskimo Co-op, qu’elle a produit une lithographie mettant en vedette l’artiste inuite Sorosiluto Ashoona, dans le cadre du Programme de commande d’estampes.
Joyce Wieland, qui était aussi peintre, artiste aux techniques mixtes et cinéaste expérimentale, était déjà fort reconnue à l’époque, et elle deviendrait l’une des figures marquantes des arts visuels contemporains au Canada. Plusieurs années auparavant, en 1971, elle a été la première femme à présenter de son vivant ses œuvres dans une exposition individuelle au Musée des beaux-arts du Canada. Dans son travail, elle explorait les recoupements entre l’identité, le genre, le nationalisme et l’écologie, en portant une attention particulière aux tâches traditionnellement féminines.
Sa décision de représenter Sorosiluto Ashoona montre bien son grand intérêt pour l’identité autochtone, en relation avec le territoire, tant physique que politique. Les liens qu’elle a tissés durant son premier voyage dans l’Arctique ont influencé le reste de son œuvre et de sa carrière. Elle y est retournée deux ans plus tard pour produire une estampe similaire, toujours avec Sorosiluto Ashoona comme sujet.
Joyce Wieland, Soroseelutu Cape Dorset (1977)
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Barbara Alexandra Hall
En 1970, Barbara Alexandra Hall et Richard Sewell ont fondé l’Open Studio, un atelier et espace d’exposition dirigé par des artistes, au centre-ville de Toronto. Encore aujourd’hui, il est un carrefour pour les échanges d’idées artistiques. La participation de Barbara Alexandra Hall au Programme de commande d’estampes lui a permis de se rendre au Moosehead Lithography Press, à Winnipeg, au Manitoba, un atelier d’impression qui venait tout juste d’ouvrir ses portes.
Elle y a produit Shadow Bands: a non scientific print, et a aussi eu l’occasion de collaborer avec un autre responsable d’atelier d’impression. L’héritage de Barbara Alexandra Hall vit toujours à l’Open Studio, et dans le dynamique réseau de centres dirigés par des artistes du pays.
Barbara Alexandra Hall, Shadow Bands: a non scientific print (1979)
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À propos de l’auteure : Sonia Poisson
Sonia Poisson est agente des opérations au Conseil des arts du Canada et chercheuse indépendante spécialisée en anthropologie de l’art. Elle est titulaire d’une maîtrise ès arts en anthropologie visuelle du Collège Goldsmiths de l’Université de Londres et d’une maîtrise ès arts en histoire de l’art de l’Université Carleton. Elle travaille sur différents projets historiques et artistiques pour la télévision, des documentaires et des expositions de musées. Elle a fait des recherches sur le Programme de commande d’estampes de la Banque d’art en 2017, dans le cadre de ses études à l’Université Carleton.