Gilet de sauvetage
By: ArtBank / 15 mars 2016
Chaque jour, les bulletins d’information nous font part des dernières nouvelles concernant la crise des réfugiés syriens. Au moment même où le Canada commence à accueillir des réfugiés, on ne manque pas de rappeler, une fois de plus, comment notre pays – et sa culture – ont été façonnés par des vagues successives d’immigrants. Chaque nouvel arrivant amène ses traditions et son patrimoine culturel, et contribue à créer de nouvelles formes et pratiques artistiques emballantes – et de nouvelles façons d’exprimer ce que signifie d’être canadien dans la société mondiale.
Il n’est donc pas étonnant que la plus vaste collection d’art contemporain canadien au monde reflète cette diversité. Avec ses 17 000 œuvres d’art réalisées par plus de 3 000 artistes, la Banque d’art du Conseil des arts renferme une mine d’histoires fascinantes à propos de notre histoire complexe.
Prenez par exemple l’œuvre Wei (2001) de l’artiste Pao Quang Yeh. Il s’agit d’un chemisier pour enfants ressemblant à un vêtement traditionnel asiatique en soie brodée, auquel 2 300 petites épinglettes du drapeau canadien ont été ajoutées. Le chemisier, suspendu au mur à l’aide d’un crochet et d’un cintre, communique de façon tangible le poids de l’histoire et du bagage culturel.

Wei (2001) par Pao Quang Yeh
L’œuvre de Yeh aborde un contexte très spécifique et une expérience rattachée à l’histoire de sa propre famille et aux sentiments complexes et intimes qui s’y rapportent. Le titre de l’œuvre, Wei, est aussi le prénom d’une des soeurs de Yeh. Deux des tantes de Yeh sont arrivées au Canada en tant que réfugiées, et une fois établies, elles ont pu parrainer d’autres membres de la famille. Au début des années 1980, Yeh, alors enfant, a quitté le Vietnam pour immigrer à Ottawa avec son père, son frère et sa sœur. Ce n’est toutefois que plusieurs années plus tard que sa mère a pu les rejoindre. Et ensuite, plusieurs années encore se sont écoulées avant que sa soeur aînée, Wei, ne vienne les retrouver. Dans l’œuvre Wei, deux artéfacts emblématiques sont fusionnés de façon viscérale. Le chemisier représente la culture asiatique, mais il est décoré à l’aide d’un symbole du patriotisme canadien. (En fait, le Patrimoine canadien a fait don de la plupart des épinglettes à Yeh, ce qui lui a permis de réaliser l’œuvre). Comme elle a été créée avec des matériaux de la vie quotidienne, l’œuvre d’art de Yeh est facilement reconnaissable, et on peut s’y identifier. Les milliers d’épinglettes procurent poids, corps et ténacité à l’œuvre. Ces petites épinglettes du drapeau canadien transforment fondamentalement la qualité de légèreté du chemisier de soie, créant une sorte de gilet blindé qui représente à la fois une protection et une barrière. Percé des milliers de fois par les épinglettes, le tissu du chemisier commence à perdre de son intégrité et devient inconfortable à porter. Parce qu’on sent qu’elle pourrait se déchirer à tout moment, l’œuvre exprime davantage la vulnérabilité que la force. L’œuvre de Yeh saisit de façon poétique et dans l’immédiateté une tonne d’idées et d’émotions complexes tout en offrant un confort ne pouvant être que fugitif. Faisant partie de la collection de la Banque d’art, l’œuvre de Yeh peut être présentée dans le cadre d’expositions ou exposée dans les bureaux partout au pays par l’intermédiaire du programme de diffusion et de location de la Banque d’art. Dans le cadre de ses anciennes fonctions au programme d’arts communautaires de la Ville d’Ottawa, et maintenant à titre d’agent de programme au Service des arts visuels du Conseil des arts, Yeh soutient les œuvres d’autres artistes et contribue à faire connaître l’art contemporain à de nouvelles communautés. Le fait que son œuvre Wei est présentée dans de nouveaux contextes et revêt de nouvelles significations le fascine.